Lions de l'Atlas

Nous sommes tous et toutes d’accord pour dire que l’épopée des Lions de l’Atlas au Qatar est historique à plusieurs niveaux. D’abord pour nous, Marocains, puisque jamais notre sélection n’avait été si loin dans une Coupe du Monde.

Et il faut remonter à 2004 et à sa Coupe d’Afrique des Nations (CAN), pratiquement 19 ans en arrière, pour voir une équipe nationale du Maroc faire au moins aussi bien dans une compétition internationale de football.

Ce mondial 2022 fut également historique pour le continent africain ainsi que pour tous les peuples qui s’identifient au Maroc de par une proximité culturelle, religieuse ou socio-économique. Les Lions de l’Atlas nous ont démontré qu’il n’y avait désormais plus aucun complexe à avoir face à quiconque. Il est clair qu’il faut désormais nous respecter et s’habituer à notre présence, puisque nous ne comptons pas en rester là.

Or, et c’est l’objet de cet article, si les Lions de l’Atlas veulent que cet événement historique soit le début de quelque chose de plus grand encore, il advient de faire très attention à la façon dont nous allons considérer l’épopée des hommes de Walid Regragui.

Attention à la culture de la défaite

Le premier symptôme de ce que l’on appelle communément la culture de la défaite est la glorification exacerbée de la victoire. Autrement dit, prendre la victoire pour quelque chose d’étonnement exceptionnelle, c’est l’habitude des perdants, et ça, il faut absolument qu’on le comprenne bien et qu’on s’en débarrasse, puisque nous ne voulons plus être des perdants.

Pour espérer que notre nation remporte un jour un trophée sur le plan footballistique, et pour que ce genre de parcours devienne une habitude, à l’image de celui des grandes nations du football, il paraît évident qu’il faille adopter la bonne mentalité, à savoir cultiver la gagne, la culture de la victoire, et le meilleur moyen d’y parvenir est de dédramatiser le succès.

Il ne s’agit bien évidemment pas de mettre cette épopée aux oubliettes, ou de la considérer pour moins que ce qu’elle n’est. Non. Le Maroc a réalisé quelque chose d’historique, et il faut féliciter Walid Regragui et ses Lions de l’Atlas, et être reconnaissant pour tout ce qu’ils ont apporté au Maroc et à l’Afrique. Néanmoins, il appartient aux supporters et aux médias de ne surtout pas tomber dans le piège de la joie excessive au point d’en oublier que, malgré toute la beauté du moment, on n’a gagné aucun trophée.

Or, c’est précisément l’erreur que nous avons tous et toutes commise à l’issue de la belle épopée des Lions de l’Atlas sous l’ère Badou Zaki en 2004. En effet, la formidable génération des Chamakh, Zaïri et… Regragui nous avait fait vibrer en atteignant la finale de la CAN qui se tenait cette année-là en Tunisie, souvenez-vous. Malheureusement, nous n’avons pas été au bout du rêve, puisque nous avons perdu la finale sous le score de 2 buts à 1 face aux Aigles de Carthage.

Ce match aura, pour toujours, un goût amère dans la bouche des spectateurs et fans des Lions puisque cette équipe tunisienne était, un peu à l’image de la France de ce 14 décembre 2022, clairement à notre portée.

L’erreur fatale

A l’issue de l’épopée tunisienne, c’était un accueil grandiose et historique qui attendait les Lions de Zaki. Tout le peuple Marocain était conquis. Jamais une défaite n’avait été autant célébrée. Les joueurs, le sélectionneur et son staff avaient presque oublié qu’ils venaient de perdre une finale. Une année et demi plus tard, c’est cette même Tunisie qui nous fait, encore une fois, tomber dans le piège.

Au même endroit, à Radès, à l’issue d’une rencontre qui s’était soldée sur un score de 2-2 nous privant d’une participation à la Coupe du Monde. Le symbole est fort. Cela signifie qu’en l’espace d’une année et demi, nous n’avions pas été en mesure d’apprendre de nos erreurs pour, non seulement prendre notre revanche face à la Tunisie, mais aussi (et surtout) nous permettre l’accès au Mondial allemand.

La suite, on la connait tous, puisque les Lions de l’Atlas ont sombré dans 18 années de calme plat dans lesquels, hormis quelques minces exceptions, pratiquement rien de concret ne s’était produit. Et pendant toute cette période, médias et supporters ont alimenté la culture de la défaite en se référant constamment au parcours de Radès qui reste un échec cuisant du Football marocain.

Un autre exemple pour caractériser la culture de la défaite et le piège très vicieux dans lequel celle-ci peut tomber est celui des Diables Rouges de la Belgique, à l’issue du mondial 2018. En effet, les hommes de Roberto Martinez avaient, eux aussi, réalisé l’exploit d’atteindre les demi-finales lors de la précédente édition de la CDM en Russie.

A leur retour à Bruxelles, c’est tout le peuple belge qui acclamait ses joueurs, devenus ce jour-là des héros nationaux qui saluaient la foule depuis le balcon de l’Hôtel de Ville de la Grand-Place de Bruxelles. Indice de popularité au plus haut, clips musicaux, engouement marketing, même la compagnie aérienne belge, Brussels Airlines, avait dédié aux Diables Rouges l’un des Airbus A320 qui composent sa flotte, en le repeignant entièrement aux couleurs et à l’effigie de la sélection belge.

Encore une fois, nous connaissons la suite, puisque cette même équipe menée par ce même coach n’a absolument rien gagné de concret en l’espace de 4 années. Ni l’Euro 2020, ni la Ligue des Nations, ni le mondial du Qatar n’ont permis aux Belges de confirmer de manière concrète. L’on peut même se risquer à dire que la Belgique fonce droit dans un gouffre duquel elle aura probablement du mal à s’extirper.

L’avenir nous montrera si, oui ou non, cela est vrai, mais s’il y a de multiples facteurs à toutes ces déconvenues, l’un d’entre eux doit retenir notre attention : l’engouement autour de l’épopée des joueurs de la Belgique avait été tel qu’il a fait oublier à Martinez et à ses joueurs que, malgré toute la grandeur de ce qu’ils avaient réalisé en Russie, ils avaient en fait perdu, et qu’ils avaient tout intérêt à ne pas se satisfaire de cette demi-finale, s’ils voulaient être considérés comme des grands, et remporter un jour quelque chose. Car un grand ne se satisfait jamais de peu, et c’est la leçon à retenir.

Et maintenant ?

La leçon est sans équivoque. Pour être un grand, il faut manger, boire, dormir et… penser comme un grand. « Fake it until you make it« , alors, soyons tous et toutes fiers de nos Lions. Bravo à Walid Regragui qui a réalisé un exploit dans le contexte difficile dans lequel il récupère le Mountakhab.

Prenons le temps de le communiquer aux joueurs, mais il advient d’exprimer nos émotions avec beaucoup de mesure, puisque, comme nous l’avons démontré à travers cet article, la joie peut être vicieuse lorsqu’elle alimente inconsciemment et involontairement une culture de la défaite. Nous devons absolument rompre avec cette culture si l’on veut que la victoire devienne une habitude pour notre pays qui, au vu de ses talents, le mérite tant.

Auteur : Hatim Mantrach

Walid Regragui : « On est venu changer la mentalité du continent« 
C’est important pour l’Afrique mais commençons d’abord par changer notre mentalité en abandonnant la culture de la défaite et la sacralisation des individus ! (LDA)