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Auteur d’un triplé samedi soir face au Gabon (3-0), l’attaquant de la sélection marocaine, Khalid Boutaïb, vit actuellement un rêve éveillé. Encore amateur il y a trois ans, le natif de Bagnols-sur-Cèze a (presque) envoyé son pays à la Coupe du Monde.

À moins d’un mois du choc face à la Côte d’Ivoire, le buteur de Yeni Malatyaspor revient sur son exploit du week-end et se projette vers le choc contre les Éléphants.

Onze Mondial : Quel est ton ressenti à froid après la victoire face au Gabon ?
(Rires). Franchement, je ne suis toujours pas à froid là. Je suis vraiment très, très heureux. Surtout que je commence à prendre conscience que mettre un triplé, ce n’est pas rien. Mais le plus important n’est pas là, ce sont les trois points. C’est vraiment, vraiment, vraiment le plus important. Il fallait gagner ce match pour se mettre dans une bonne position avant d’affronter la Côte d’Ivoire lors de la dernière journée. L’équipe est fière d’avoir rendu tout le peuple heureux. On a passé une très, très bonne soirée.

Comme as-tu vécu ton triplé ?
(Il souffle). Franchement, je ne réalisais même pas sur le coup. Je ne réalise toujours pas d’ailleurs. Je ne savais même pas ce que j’étais en train de faire. J’étais juste hyper heureux. Et là, ce n’est même pas de la langue de bois ce que je fais mais vraiment, je ne pensais qu’à une chose : les trois points. J’étais trop content pour le groupe. Et voir tout le monde heureux pour moi, ça m’a fait énormément plaisir. J’ai été touché.

On peut dire que c’est le plus beau jour de ta vie.
Non, non, non, ce n’est pas le plus beau jour de ma vie (rires). J’ai été papa quand même. La naissance de mon fils restera toujours un moment spécial pour moi. En plus, c’est récent, c’était il y a moins de deux mois. Mais niveau football, c’est le plus beau match que j’ai vécu, c’est sûr. Tu joues pour ton pays, tu mets un triplé, en plus en qualification pour la Coupe du Monde, tu imagines ? C’est mon plus beau moment de footballeur et de loin.

Vous êtes désormais tournés vers la qualification. Vous pensez que vous allez le faire ?
Il reste un match très difficile même si on est confiant. On est des compétiteurs, on va jouer ce match pour le gagner. On sait qu’on a une belle équipe, on sait aussi qu’on est capable de le faire. Donc bien sûr qu’on y va confiant. On y croit ! Maintenant, il va falloir assumer sur le terrain.

Les Ivoiriens vont aussi jouer leur qualification. Tu n’as pas peur que l’engouement autour du match et un possible « arbitrage maison « vous jouent des tours ?
Il va falloir qu’on reste concentrès et solides. Il va falloir leur donner le moins d’opportunités possibles pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté. Je n’ai pas envie de parler d’arbitrage mais juste, je ne veux pas leur laisser d’espoirs. Il ne faut pas leur laisser la chance d’emballer le match en fait.

On va garder notre ligne de conduite avec une grosse assise défensive. Et sur les quelques occasions qu’on va avoir, on va essayer de leur faire mal sur les attaques rapides. On est capable de le faire. Lorsqu’on voit le bloc défensif qu’on a, on peut être confiant parce que c’est dur de nous bousculer.

Est-ce que ça vous traverse l’esprit de perdre en Côte d’Ivoire ?
Même pas. Parce que si ça te traverse l’esprit, ça ne sert à rien d’y aller. Tu perds déjà de l’énergie et du mental avant même que le match ne commence. Nous partons déterminés pour réaliser l’exploit. On ne pense qu’à une chose : se qualifier Incha’Allah.

Un échec serait vécu comme une énorme désillusion…
Exactement. Vu tout ce qu’on a produit jusqu’à maintenant et la position dans la quelle on se trouve, bien sûr que ce serait une désillusion si on ne passait pas. Mais il ne faut pas jouer le match en avance, il faut qu’on rentre chacun dans nos clubs et qu’on travaille bien pour revenir au top dans un mois.

Es-tu conscient que le peuple marocain se voit déjà à la Coupe du Monde ?
Oui ça, on le sait mais c’est toujours pareil. Après le match du Mali, tout le monde nous voyait hors course. Le foot, ça va très vite. C’est une perpétuelle remise en question. Il va falloir être solide au moment venu parce que ça ne sert à rien de jouer le match avant ou après. Il faut être là au moment où ça se joue. On va sortir une bonne performance, j’en doute pas.

On a l’impression que vous êtes une famille en sélection. C’est vraiment comme ça de l’intérieur ?
On en parlait à table durant le rassemblement. Franchement, il y a une très bonne atmosphère. Même si on ne parle pas tous la même langue avec les Néerlandais tout ça, on se débrouille pour communiquer. À l’époque, j’ai cru comprendre qu’il y avait des difficultés entre les Marocains, les Néerlandais et les Français. Je suis là depuis deux ans, je n’ai jamais ressenti ça. On est tous ensemble, on rigole tous ensemble, c’est vraiment le feu. On est des frères.

Justement, comment parvenez-vous à franchir les barrières de la langue entre francophones, néerlandophones et arabophones ?
En général, les « arabes « parlent un peu français. Après nous, les « Français », on arrive à parler un peu « reubeu « quand même. Les « Hollandais « parlent anglais ou « reubeu ». On trafique on va dire. De temps en temps, je trafique avec certains entre le français, l’arabe et quelques mots d’anglais (rires). Au final, on arrive toujours à se comprendre. De ce côté, tout va bien. Aucun problème.

Pour revenir au match du Gabon, tu avais bu du jus d’orange magique toi le matin ?(Rires).
Voilà, on avait le bon nous. Plus sérieusement, c’était une polémique qui n’avait pas lieu d’être. Par exemple, lorsqu’on a perdu au Cameroun, on n’a pas cherché d’excuses, on n’a pas fait de chichis alors qu’ils nous ont fait jouer en plein après-midi pendant le ramadan. Pas besoin de polémiquer. C’était peut-être une erreur de sa part (Pierre-Emerick Aubameyang) d’avoir dit ça. Nous, on n’a vraiment pas fait attention à ça. On a joué notre match et c’est tout.

Vous n’avez pas été piqués dans votre amour propre ?
Non parce qu’on n’avait pas besoin de ça. On était tellement motivés et déterminés (il coupe). Bien sûr qu’on a vu son message mais on est vite passés à autre chose. On a fait notre boulot sur le terrain.

Vous en avez parlé avec Aubameyang après le match ?
Moi, je ne le connais pas personnellement. Je ne sais pas si quelqu’un a été à sa rencontre. Je n’ai même pas suivi. Je n’ai pas calculé tout ça. J’étais plus occupé à faire la fête (sourire).

Surtout que tu étais le héros national.
Ouais, mais ça ne veut rien dire. Il n’y a même pas un mois, au Mali, j’ai pris tellement cher (il souffle)… Tout le monde a dit : « Boutaïb est nul, il a raté des occasions ». C’est comme ça. Avec les supporters, lorsque tu marques, tu es le meilleur, lorsque tu ne marques pas, tu es le plus nul. Je ne me suis pas enflammé plus que ça. Si on se qualifie le mois prochain au Mondial, tu pourras me poser les questions que tu veux. Je te dirai même que je suis meilleur que Zizou (rires). Mais pour l’instant, je préfère rester concentré. Il faut finir ce boulot, on y est presque !

Medhi Bentia a parfois été pointé du doigt alors qu’il a toujours été très attaché à son pays. Quel est son rôle dans le groupe ?
Je lui ai répété encore lors du rassemblent : « Tu es là, tu ne lâches pas ! ». Le mec est toujours là alors qu’il évolue dans un « putain « de gros club. Il accepte de venir jouer dans des conditions très compliquées. Lorsqu’on se déplace dans certains pays, les conditions ne sont vraiment pas idéales. Elles n’ont rien à voir avec ce qu’on peut connaître en club ou au Maroc.

Franchement, mentalement, il est très fort parce qu’il subit énormément de pression. Lorsque les autres joueurs voient Aubameyang, ils se sentent bien. Dans les pays où il y a des stars comme ça, leur présence procure de la confiance. C’est un vrai plus d’avoir un tel joueur dans le groupe. Et franchement, plus gentil, plus serviable, plus disponible, plus tout ce que tu veux, je ne sais même pas si ça existe. C’est la plus grande star de l’équipe et c’est l’un des mecs les plus accessibles. J’ai de très bons rapport avec lui. Je n’ai rien à dire à part que c’est un super homme et un super joueur.

Qu’est ce que tu peux nous dire sur Hervé Renard ?
Pour moi, c’est un grand homme et un grand entraîneur. Son passé et son palmarès plaident pour lui. Il n’a rien à prouver. Il sait gérer les egos, il sait motiver, il trouve toujours les mots justes même lorsque ça va moins bien, il a toujours un discours positif mais attention, il n’est pas là pour te caresser dans le sens du poil. Lorsque tu es mauvais, il te le dit.

À la mi-temps d’un match, il nous a déjà dit : « Vous n’êtes pas au niveau, vous n’allez jamais faire de grandes choses en jouant comme ça ». Après un discours comme ça, l’équipe se métamorphose. C’est tout ça que j’aime chez lui. Il faut juste lui laisser du temps pour qu’il puisse mettre en place ses idées et sa vision des choses. Et au fur et à mesure du temps, tu vois que l’équipe s’améliore. Personnellement, je ne peux que le remercier parce que, depuis qu’il est là, je suis appelé en sélection. Il m’a fait découvrir un truc de fou, du coup, je ne peux que lui dire « Merci ».

Sur le plan personnel, on voit que tu te régales. Le fait d’être arrivé sur le tard change quelque chose selon toi ?
On peut dire que je suis un peu plus insouciant. C’est un peu à l’image de mon troisième but. Tout le monde m’a dit : « Tu as été facile ». Mais en fait, non. C’est juste que j’ai fait le geste à l’instinct, sans rien calculer. Le ballon est arrivé et « bam ».

Moi, j’arrive du monde amateur, j’ai débarqué tard dans ce milieu. Chaque jour, je découvre de nouvelles choses. Je suis encore frais dans ma tête. Ce n’est pas comme certains joueurs qui sont là depuis des années. Regarde Medhi Benatia, on a exactement le même âge sauf que moi, ça fait trois ans que je vis avec les exigences du haut niveau et lui presque vingt ans. Et malgré ça, malgré les critiques, il est encore là.

Moi non, je découvre tout juste, j’apprends tous les jours. Je savoure, je profite, je kiffe, ce n’est que du bonus, ce n’est que du bonheur pour moi. Tout ces trucs, je n’y pensais même pas il y a quelques années. J’arrive de nulle part et je mets un triplé en équipe nationale, c’est un truc de fou. C’est indescriptible.

Parlons un peu de ta situation en club. Tu as quitté Strasbourg cet été après avoir inscrit 20 buts en championnat et permis au club de retrouver la Ligue 1. Pourquoi ?
C’est un choix global. Comme j’ai pu te le dire, je viens de loin. Du coup, financièrement, il fallait que j’accélère on va dire. C’était important pour mettre ma famille à l’abri. Il n’y a pas que le financier non plus. Il y a aussi le fait de vivre une nouvelle aventure humaine à l’étranger. La Turquie est un pays musulman aussi.

Ça a pesé dans ma réflexion. C’est un tout en fait. En plus, j’évolue en première division dans un championnat qui devient très, très attractif. De nombreuses stars ont débarqué. Et puis voilà, financièrement, c’est beaucoup mieux que Strasbourg. Je ne suis pas parti sur un coup de tête, j’ai vraiment pris le temps d’analyser tous les aspects avant de signer là-bas. C’est un choix général que je ne regrette pas aujourd’hui.

Tu as été l’un des meilleurs joueurs du GFC Ajaccio lorsque tu as évolué en Ligue 1, tu as figuré dans l’équipe-type des meilleurs joueurs de Ligue 2 la saison dernière. Peut-on dire que tu n’as pas été reconnu à ta juste valeur à un moment donné ?
C’est possible. Chacun a sa vision des choses. Peut-être que je ne méritais pas plus que ça. On ne pourra jamais savoir. J’entendais des trucs style : « On aurait dû prendre Boutaïb ». Mais avant la saison, on ne pouvait pas savoir que j’allais marquer 20 buts.

Tout ce que je vis, c’est grâce à Dieu. C’est mon destin. Celui que je devais avoir. Et puis, il y a à peine trois ans, je n’étais pas pro. Si tu m’avais proposé ce chemin, je l’aurais accepté direct. On ne sait pas ce que j’aurais pu vivre. Ça se trouve, je serais resté dans l’anonymat toute ma vie et voilà… Je n’ai pas à me plaindre, je suis un privilégié. Je suis arrivé tard dans ce milieu, je savoure, je ne calcule pas.

Tu as déjà inscrit cinq buts depuis le début de saison avec Yeni Malatyaspor. Je suppose que tu vis bien ta nouvelle aventure…
Je suis vraiment bien. J’attends juste que ma femme et mon bébé me rejoignent. On va savourer cette nouvelle vie à l’étranger en famille. Bon, la ville n’est pas top, top mais ce n’est rien. Je suis là pour le foot, pas pour les vacances. Je sais pourquoi je suis là. Je vais bosser dur pour trouver un projet plus grand.